Par Vincent-de-Paul LELE
Cela fait exactement 15 ans qu’a paru le dernier ouvrage publié par les Editions CLE dans la collection RTS, un sous-ensemble du grand projet de publier des ouvrages pour l’enseignement théologique en Afrique 1 . Il s’agit d’Étranger dans la maison de Dieu ? Étude narrative d’Actes 10.1-11, 18 et essai d’actualisation de Priscille Djomhoué 2 . Depuis lors, plus rien. La collection semblait définitivement morte de sa bonne mort 3 . Pourtant, la collection dès le lancement en 2001 affichait de belles ambitions pour l’épanouissement de la production des théologiens africains . Elle se proposait de mettre à la disposition des instituts de formation théologiques en Afrique des supports d’enseignement endogènes reflétant le vécu de la foi de l’Africain dans son milieu, en rupture avec l’ordre habituel de la dépendance vis-à-vis de l’Occident. Autrement dit, il fallait donner la possibilité aux théologiens africains de ne plus seulement citer les Daniel Marguerat, Paul Tillich, François Vouga et bien d’autres 4 . Aussi a-t-on vu des auteurs tels que Kä Mana, Joseph Ngah, Laurenti Magesa, Mercy Amba Oduyoye, Éloi Messi Metogo, Paulin Poucouta, etc. 5 , publier des ouvrages qui font désormais référence et figurent en bonne place dans la bibliographie de nombreuses publications d’ici et d’ailleurs.
Voir aujourd’hui la collection RTS renaître de ses cendres dans le cadre d’une revue théologique − ou pour être plus exact, sortir de son profond sommeil − est une source d’espoir nouvelle pour la vie de l’Église africaine aujourd’hui, au moment où elle est confrontée à de nombreuses crises qui nuisent gravement à son unité, au moment où les efforts de réconciliation postérieures à ces fractures ne donnent pas de résultats satisfaisants. Le thème du présent numéro, « Unité et réconciliation de l’Église en Afrique », retenu par la nouvelle équipe éditoriale laisse bien sous-entendre l’idée de rupture, de cassure, de division et de combat parfois violents. Le parti pris de ne pas insister sur ce pan, sur des freins au développement de la foi en Dieu en Afrique dénote la volonté d’exorciser ce qui divise, ce qui détruit. Une autre façon de voir la bouteille à moitié pleine qu’à moitié vide. Les querelles, les divisions, les guerres ne sont-elles pas des faits sociaux qui existent depuis la création du monde ? Caïn et Abel 6 , deux frères (même père et même mère) sont l’exemple biblique qui symbolise bien les complexités de la cohabitation paisible entre les hommes. Cet ouvrage s’intéresse alors plus à ce qui est source d’unité, à tout ce qui est susceptible de faire des hommes de vrais enfants de Dieu créés à son image.
Le travail proposé par les 12 contributeurs de cette première parution de la relance vient à point nommé essayer d’éclairer le lecteur sur ces moments de fragilité de l’Église africaine et proposer des voies de sortie.
Gertrude Kamgue Tokam a identifié le pluralisme des courants religieux comme une menace aux fondements de la foi chrétienne. Une sorte de relativisme ou de tolérance qui ouvre la porte à de nombreuses dérives : les faux miracles, des prophètes d’un genre nouveau aux titres toujours plus ronflants et grandiloquents, l’attrait pour le sensationnel… Le recours pour le salut se trouve en Christ qui, en dépit des divergences, est le lien transcendantal qui unit les hommes : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car tous sont uns en Jésus-Christ ». (Gal 3 : 28) Cet enseignement de Paul aux Galates ne semble pas ébranler un autre mal qui risque de faire imploser bon nombre d’Églises en Afrique : le tribalisme. Si le fléau n’est pas nouveau comme Hervé Djilo Kuate l’a rappelé à travers la relecture de la Bible, c’est sa profondeur et sa généralisation dans la maison de Dieu qui inquiètent le plus. Il mise sur la pratique de la justice et plaide pour une pratique de la pastorale de sensibilisation contre le tribalisme.
L’Église catholique romaine au Cameroun, au regard de son histoire, parait bâtie sur un socle unitaire solide. Mais l’article de Jacques Simo Djilo montre que la transmission des rênes aux locaux après le départ du clergé blanc et la forte concurrence des mouvements évangéliques et pentecôtistes ont laissé poindre des fissures. Le défi pour cette Église sera de résister au tribalisme interne, à la pratique désordonnée de l’exorcisme et à l’influence de plus en plus avérée des églises dites du réveil. Un défi vaillamment livré par le Vatican nous est rapporté par Narcisse Landry Kevis Kossi et Maurice Manamba pour la réconciliation entre les communautés religieuses en République centrafricaine. La visite du pape François en 2015 a eu un impact positif sur les relations entre musulmans et chrétiens en Centrafrique. Sans présomption ou illusion de l’effet baguette magique qui ramènerait la paix dans ce pays 7 , les auteurs ont mis en exergue la mission réconciliatrice du clergé quand le peuple est dans la souffrance. Pour cela, le corps pastoral doit se montrer comme des exemples de vertus. Ce qui n’est hélas pas toujours le cas comme l’ont démontré Symphorien Bouassi au sein de l’Église évangélique de Centrafrique (EEBC) et Daniel Bankolé au sein de l’Église presbytérienne méthodiste du Bénin (EPMB). Bouassi, actuel président de l’EEBC et témoin privilégié de la crise post-électorale à la tête de l’Église en 2018, convoque les Écritures Saintes, les enseignements ecclésiaux et l’expérience post-crise de l’EEB (Il s’appuie sur la trilogie des « E ») pour parer à d’éventuelles crises qui pourraient surgir au sujet de l’organisation de l’Église et de la pratique du pouvoir en son sein, à l’exemple de la révision des textes règlementaires ou la codirection. L’Église évangélique du Cameroun a connu une situation quasi-identique, avec de fortes dissensions ethno-tribales au sommet 8 . Ebenezer Ngambeket propose une révision de l’organisation et du fonctionnement de l’EEC en privilégiant la déconcentration et la décentralisation, garants de l’implication du plus grand nombre dans la gestion administrative et financière.
Bankolé, quant à lui, préconise une démarche explicative en plusieurs étapes qui interpellent la foi de chaque croyant. En effet, accepter véritablement Dieu et sa Parole est suffisant pour féconder et solidifier l’unité. Si l’initiative de la réconciliation est prise de l’extérieur de l’Église, comme avec les protagonistes de la crise de l’EPMB où c’est l’État qui a pratiquement mis de force tout le monde à la table, l’unité et la réconciliation seront vaines.
En s’appuyant sur la pertinence de Shama dans 1 Samuel 8, 1-22, Nicodème Alagbada démontre comment l’écoute des uns et des autres, mais aussi l’écoute de Dieu, a conduit Samuel à dialoguer pour trouver dans le compromis les solutions aux problèmes du peuple. Aux leaders religieux actuels d’en prendre de la graine, comme le suggère Raoul Moumi, lui aussi partisan de l’écoute, mais une écoute qui, en plus de s’inspirer de la Bible, questionne les réalités africaines de tous les jours : polygamie, misère ambiante, dictature politique… Quant à Ebenezer Bissohong, il s’est agi de montrer que Christ est le médiateur de la réconciliation entre Dieu et son peuple, y compris donc les peuples d’Afrique. C’est justement ce défi qui se pose aujourd’hui, celui de montrer que, loin de la malédiction, les peuples d’Afrique font partie de ce nouveau pacte de salut, qui ne saurait cependant faire abstraction de l’essence de la spiritualité africaine. Daniel Kouamegne trouve dans une approche à la fois cosmogonique et anthropo-philosophique que l’homme africain est constitué de « son identité individuelle et socioculturelle » qui le destine à bien s’intégrer en lui-même et dans son environnement. C’est la source privilégiée pour la quête de la réconciliation et d’un vivre-ensemble harmonieux. L’idéal d’une réconciliation vraie et durable venant des cœurs se fonderait donc, de l’avis d’Étienne Bonou, sur la conciliation entre techniques de réconciliation tirées de la tradition africaine d’une part et de l’évangile de la paix d’autre part : un modèle catéchétique de réconciliation à l’africaine.
Jean-Patrick Nkolo Fanga se veut plus pragmatique et préconise la construction d’un ministère de la réconciliation clairement codifié qui prend en compte les mesures aussi bien préventives que curatives. Le profil du pasteur et la catéchèse dans toutes les activités de l’Église doivent mettre un point d’honneur sur la prévention des conflits et la facilitation de leur résolution.
La publication de cette édition ne s’est pas faite sans quelques difficultés. Notamment, l’inexpérience sur les aspects de forme et de fond de nombreuses contributions reçues. Le lecteur averti le ressentira au contact de certains articles. L’équipe éditoriale s’est inscrite dans la logique d’accompagnement des auteurs théologiens, tout en garantissant des réflexions dont la qualité et la pertinence ne vont que progresser. D’autres projets sont en cours et l’appel à contribution sera lancé en temps opportun.
Vincent-de-Paul LELE